Tuesday 5 June 2012

La cohérence décisionnelle en droit administratif


Je pensais de garder cette décision jusqu’au retour en classe des étudiants du préscolaire à la fin de l’été, mais finalement j’ai conclu que les principes découlant de ladite décision sont trop intéressants pour les cacher plus longtemps. La Cour d’appel y explique très clairement les principes de la révision judiciaire au Québec.

Au centre de l’affaire Syndicat de l’enseignement de la région de Laval c. Commission scolaire de Laval, 2012 QCCA 827 était une décision arbitrale rendue contre l’intimé basée sur le rapport entre l’article 239 de la Loi sur l’instruction publique et une convention collective. Celle-ci garantit qu’aux préscolaires de 5 ans de la région de Laval, la moyenne d’élèves par groupe serait de 18 et le maximum serait de 20.

En même temps ledit article 239 donne un certain pouvoir de choix scolaire aux parents :

La commission scolaire inscrit annuellement les élèves dans les écoles conformément au choix des parents de l’élève ou de l’élève majeur. Toutefois, si le nombre de demandes d’inscription dans une école excède la capacité d’accueil de l’école, l’inscription se fait selon les critères déterminés par la commission scolaire après consultation du comité de parents.

Le désaccord entre la commission scolaire et le syndicat tournait sur les mots « capacité d’accueil ». D’après la commission scolaire, ces mots étaient limités par le maximum par groupe prescrit par la convention collective. Mais d’après le syndicat, la capacité d’accueil était la capacité dans un sens géographique et donc la commission scolaire devait agrandir le nombre de groupes d’élèves jusqu'à ce qu’on arrive à la moyenne nécessaire (soit 18).

L’arbitre a donné raison au syndicat. Dans sa requête de révision judiciaire, la commission scolaire a développé quelques arguments intéressants : que l’interprétation de la Loi par l’arbitre était erronée, que la sentence arbitrale contredisait une sentence arbitrale rendue une année auparavant (2006), et que la contestation par le syndicat était au fond un effort déguisé de faire un appel de la sentence arbitrale de 2006.

Les arguments mis en avant par la commission scolaire ont convaincu la Cour supérieure mais la Cour d’appel a donné raison au syndicat. Tout d’abord, la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Malgré le fait que la décision arbitrale impliquait un article général d’une loi (qui indiquerait normalement la norme de contrôle de la décision correcte), c’était dans le contexte de la résolution d’un grief. Donc, c’était une situation dans laquelle des questions de droit et de fait étaient intimement liées:
[38]           Or, l’article 239 de cette loi traite, comme nous l’avons vu précédemment, de la « capacité d’accueil d’une école », notion susceptible d’influer sur la composition des groupes d’élèves, cette réalité devant elle-même être mise en contexte selon un autre concept prévu à la convention collective qui est celui de la « moyenne d’élèves par groupe ». Bref, il ne fait à mon avis aucun doute que la solution du grief reposait essentiellement sur une analyse croisée de l’article 239 de la LIP et des clauses 8-8.00 et suivantes de la convention collective.
La Cour d’appel a rappelé aussi qu’il y a une zone dans laquelle plus qu’une décision arbitrale serait raisonnable. Même si un autre arbitre règlerait – ou comme ici a déjà réglé – autrement une question, ça ne veut pas dire que la décision du moment était déraisonnable. Au fond du concept de la décision raisonnable reste donc un espace où deux arbitres peuvent rationnellement tenir des conclusions différentes. Ici, les éléments clés de justification, transparence et intelligibilité étaient présents:
[48]           C’est donc dire que même si la décision Poulin comportait les attributs de la « raisonnabilité », ce qui par ailleurs n’a pas été décidé par la Cour supérieure, la solution retenue par cet arbitre ne devenait pas pour autant exclusive et n’avait certes pas comme conséquence d’empêcher un autre décideur d’envisager pour une question semblable un dénouement différent tout aussi rationnel.
[54]           Lorsque la question en jeu devant un arbitre tolère un certain nombre de conclusions raisonnables et qu’il lui est loisible d’opter pour l’une ou l’autre des solutions qui se présentent à lui et que celle-ci répond aussi aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, comme c’est le cas en l’espèce, la cour de révision ne peut dans ces circonstances substituer l’issue qui serait à son avis préférable.
Par la suite, la Cour a expliqué que, prenant compte des principes déjà énoncés, un arbitre n’est pas lié comme le sont les juges par la règle du stare decisis. Mais bien que l’arbitre ne soit pas lié, il est quand même nécessaire de prendre en considération des sentences arbitrales déjà rendues, parce que la cohérence décisionnelle reste importante :
[60]           En l’espèce, l’arbitre n’a pas ignoré l’importance du maintien d’une certaine logique en matière de jurisprudence arbitrale. Elle s’est livrée à une analyse minutieuse de la décision Poulin pour ensuite conclure qu’elle ne pouvait y souscrire. Elle se dit plutôt d’avis que c’est son collègue qui ne s’est pas préoccupé suffisamment de cette notion en acceptant de s’écarter d’une jurisprudence vieille de plus de 25 ans et qui avait jusque-là conclu que les clauses concernant la moyenne d’élèves par groupe « revêtaient un caractère impératif en matière de formation de groupes, que l’employeur avait en cette matière une obligation de résultat et que le dépassement de la moyenne constituait une violation de la convention collective »
En fin, le juge de la première instance n’a pas eu raison en considérant le grief comme un appel de la décision de 2006 :
[73]           Même si l’arbitre reconnaît que la règle de la chose jugée s’applique en matière de sentence arbitrale, elle s’explique suffisamment sur les raisons qui l’ont amenée à décider que cette règle n’était en l’espèce d’aucun secours pour l’intimée. Tout comme le juge de première instance, je ne vois pas dans cette détermination matière à intervention de notre part.
Donc, un bon précis de la part de la Cour d’appel des principes qui s’appliquent dans le champ de la révision judiciaire, globalement et pas juste dans le contexte arbitral.